Depuis la pandémie de COVID-19, un phénomène inquiétant s’est installé de façon durable dans la société : l’augmentation marquée de l’anxiété chez les jeunes. Cette progression rapide, voire brutale, de l’anxiété juvénile n’est plus un simple ressenti individuel ou un constat isolé de quelques professionnels : elle est aujourd’hui largement documentée, visible et préoccupante à tous les niveaux – familial, scolaire, médical et institutionnel. Loin d’être une conséquence passagère, ce phénomène s’ancre dans un contexte post-pandémique qui a bouleversé les repères des adolescents et jeunes adultes, fragilisant leur bien-être psychologique de façon profonde.
La pandémie a agi comme un révélateur et un accélérateur. Avant même 2020, les jeunes faisaient déjà face à des sources d’angoisse multiples : pression scolaire intense, compétition sociale, urgence climatique, incertitude professionnelle, surmédiatisation des crises globales. Mais le COVID-19 est venu amplifier ces tensions. Les confinements, les cours à distance, l’annulation des événements marquants, la perte de lien social, et le climat d’instabilité permanente ont généré un véritable choc émotionnel. À un âge où la socialisation, l’exploration du monde et la construction identitaire sont essentielles, des millions de jeunes ont été plongés dans l’isolement, la routine numérique et le silence émotionnel.
Les effets de cette période ne se sont pas effacés avec la fin des restrictions. Bien au contraire, les mois et années qui ont suivi ont vu s’installer un mal-être persistant. L’anxiété juvénile, qui pouvait autrefois être perçue comme une difficulté passagère ou marginale, est devenue un phénomène massif et durable. De plus en plus de jeunes décrivent une peur constante de l’avenir, des troubles du sommeil, des crises d’angoisse, une perte de motivation ou un sentiment d’être submergés par la moindre contrainte du quotidien. Ce ne sont pas seulement des cas isolés : ce sont des classes entières, des promotions entières, des générations entières qui expriment leur fragilité psychologique.
Les professionnels de santé mentale, en première ligne face à cette vague d’anxiété, tirent la sonnette d’alarme. Les centres médico-psychologiques, les services hospitaliers en pédopsychiatrie et les psychologues scolaires sont débordés. Les délais pour obtenir un suivi psychologique sont parfois de plusieurs mois. Et lorsque les jeunes parviennent enfin à parler, c’est souvent après une longue période de silence, de honte ou de minimisation de leur souffrance.
À cela s’ajoute un autre facteur aggravant : le rôle ambigu des réseaux sociaux. Bien qu’ils aient permis de maintenir un lien social pendant les périodes de confinement, ils sont aussi devenus un espace d’hyper-comparaison, de surexposition et de pression permanente. Les jeunes y sont confrontés à des images de réussite, de bonheur et de perfection inaccessibles, renforçant le sentiment d’inadéquation, d’isolement et d’anxiété. La vie numérique, omniprésente, rend difficile le repos psychique, l’ancrage dans le réel et le recul nécessaire pour relativiser ses propres difficultés.
Dans ce contexte, il devient urgent de repenser l’accompagnement de la jeunesse. Il ne suffit plus de réagir face aux crises aiguës : il faut développer une véritable culture de la prévention, de l’écoute et de l’éducation émotionnelle. Les établissements scolaires, les universités, les structures de loisirs, mais aussi les familles et les institutions publiques doivent s’unir pour créer des environnements bienveillants, sécurisants et favorables à la parole. L’éducation à la santé mentale, tout comme celle à la nutrition ou à la sexualité, devrait devenir une composante essentielle de la formation des jeunes.
Il faut également lever les tabous qui entourent encore la santé mentale. Trop souvent, les jeunes hésitent à demander de l’aide de peur d’être jugés, incompris ou étiquetés. Encourager la parole, banaliser le recours à un professionnel, valoriser les initiatives d’entraide entre pairs : ce sont des leviers concrets pour briser l’isolement psychologique dans lequel beaucoup s’enferment.
Enfin, il est crucial d’écouter cette jeunesse qui, malgré son anxiété croissante, fait preuve d’une lucidité rare. Elle pose des questions sur le monde, sur son avenir, sur les valeurs collectives, et elle exige des réponses. L’anxiété qu’elle ressent est aussi le reflet d’un environnement global instable, d’une société souvent en perte de sens. La soutenir, ce n’est pas seulement lui apporter un appui psychologique, c’est aussi lui redonner confiance en ses capacités, en l’avenir et en la possibilité d’un monde plus juste, plus stable, plus humain.
L’anxiété juvénile, loin d’être une fatalité, doit être comprise comme un signal d’alerte. Elle nous oblige à repenser nos priorités, à renforcer nos dispositifs de soutien, et à accorder à la santé mentale des jeunes la place qu’elle mérite : centrale, non négociable, et essentielle à l’équilibre de notre société tout entière.
Anxiété juvénile